Le culte des reliques : pourquoi ?

Publié le par MB

La vénération des reliques est un phénomène universel 
 

L’homme a toujours eu besoin de se rattacher à d’autres vies, réelles ou imaginaires, et le culte des reliques répond à un besoin collectif d’identité et de soutien dans les difficultés.

  • En Grèce antique, la statue d’Athéna était un objet symbolique et sacré dont la possession et le culte soudait le groupe d'un point de vue religieux et le préservait des menaces extérieures.
  • A la mort de Bouddha, plusieurs clans se disputèrent la récupération de reliques échappées du bûcher funéraire. Actuellement, lors de la fête bouddhiste de la Perahera qui se déroule chaque été à Kandy, capitale religieuse du Sri Lanka, une dent de Bouddha est promenée sur un éléphant dans un reliquaire en or, pendant plus de dix jours. Les pèlerins en attendent bienfaits et guérisons.

Procession à Kandy de la relique de la dent de Bouddha

  • En 1963, la disparition d’un poil de la barbe de Mahomet au sanctuaire de Srinagar, plongea le Cachemire dans le chaos.
     
  • Le corps embaumé de Lénine à Moscou, est toujours vénéré, cent ans après sa mort.

Mausolée de Lénine, place Rouge à Moscou

  • Récemment la Belgique a rendu à la République Démocratique du Congo, lors d’une cérémonie officielle à Bruxelles, le 20 juin 2022, la relique d’une dent de Patrice Lumumba, indépendantiste congolais, assassiné en 1961 par des mercenaires belges, et dont le corps avait été dissous dans de l’acide.

La Croix – 20/06/2022 : « La relique a été déposée dans un cercueil. Elle s’envolera de Melsbroek, avec haie d’honneur militaire, pour Kinshasa. Le cercueil sera mis en terre le 30 juin, date anniversaire de l’indépendance, place de la tour Lumumba, où un mausolée a été construit et l’attend. »  

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Au-delà de cette universalité, le culte chrétien des reliques des Saints fut l’une des grandes lignes de force du christianisme pendant plusieurs siècles, et reste toujours d’actualité.

Dès le début de leur histoire, les chrétiens ont vénéré les corps de leurs martyrs. Ils avaient en effet repris la tradition israélite de ne pas incinérer les morts. Ils les conservaient dans des sarcophages, au sein des catacombes.

Obligés de se cacher pour célébrer leur culte, les chrétiens priaient dans les catacombes, et les tombes de leurs martyrs devinrent leurs autels. Cette tradition a été pérennisée lors de l’édification des premières églises, par la présence de reliques au centre des pierres d’autel, pratique toujours actuelle.


Le culte chrétien des reliques est fondé sur la croyance d’une force demeurée vivante dans les restes corporels des Saints :

En 420, Saint-Augustin a dit que « Dieu lui-même agissait et opérait à travers les esprits des martyrs, comme s’ils vivaient encore ici-bas ». (La Cité de Dieu, XXII, IX).

En 1270, Saint-Thomas d’Aquin a précisé : « il est sot de vénérer un objet insensible, ce que sont pourtant les restes des saints… Ainsi donc, en honorant les reliques des saints, ne tombons pas dans l'erreur des païens. Nous n’adorons pas ce corps insensible pour lui-même, mais à cause de l’âme qui lui fut unie et qui jouit maintenant de Dieu. » (Somme théologique - IV).
 

Au XIe siècle, l’Europe fut un vaste réseau de sanctuaires. Les lieux où étaient conservées les reliques des saints, devinrent des lieux de pèlerinage qui engendrèrent d’importants déplacements de population. Des « guides touristiques » furent même édités, mentionnant les emplacements des tombeaux des saints à visiter et la description des reliques y reposant…

Toute la société vénérait les reliques.
C’est sur elles que l’on devait prêter serment.
Les chevaliers faisaient sertir des reliques dans la garde de leurs épées.
Chaque corporation de métier désirait s’offrir quelques fragments des reliques.de son Saint Patron.
Chaque ville ou village avait son Saint et voulait être détenteur d’une de ses reliques.


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La généralisation de la vénération des reliques a abouti dès le Haut Moyen Âge à la création d'un véritable marché de reliques, dont la provenance et la réalité historique étaient pour le moins sujettes à caution. 

Ainsi, le moine Guibert de Nogent écrivait au début du XIIe siècle :

« Ceux qui vénèrent de bonne foi les reliques d'un saint pour celles d'un autre, ne pèchent point, et la prière adressée à une âme donnée à tort comme sainte est susceptible d'être agréée de Dieu, pourvu qu'elle parte d'un cœur simple et fervent. »


Les Saints se sont ainsi vu attribuer, au gré des dévotions, des vertus de protection et de guérison qui n’avaient souvent rien à voir avec leur vie passée.

E
n marge des pèlerinages et des lieux de culte qui attirèrent la foule des pèlerins, aubergistes et taverniers découvrirent tout l'intérêt de trafiquer des reliques, bien souvent fabriquées dans leurs arrière-boutiques, et vendues auprès de croyants fatigués, assoiffés, affamés après de longs jours de marche.


Dérive de trafiquants, mais aussi abus beaucoup plus profonds.

Saint Jean-Baptiste a eu d'innombrables têtes, des saints ont eu dix mains etc.

Le comble fut atteint lorsqu’apparurent des reliques gazeuses. Ainsi on a pu recenser plusieurs souffles de Jésus conservés en bouteille, voire un éternuement du Saint-Esprit contenu dans une fiole que les huguenots brisèrent à Périgueux durant les guerres de religions !


Les reliques générèrent également un important trafic financier dont l’un des exemples les plus frappants fut celui de la construction de la Sainte-Chapelle par le roi Louis IX (futur St Louis), pour recueillir "la Sainte Couronne d’épines du Christ". Cette couronne fut achetée 135.000 livres à l’empereur Baudouin II de Constantinople, somme considérable pour l’époque, puisqu’elle représentait environ la moitié du revenu annuel du domaine royal et que la construction de la Sainte-Chapelle elle-même, n’a coûté que 40.000 livres, soit trois fois moins que l’achat de la Couronne d’épines.

 

C’est à la veille d’une visite de reliques qui devait, une fois de plus, servir de support à une vente d’indulgence, que Martin Luther afficha à la porte de l’église de Wittenberg ses fameuses « 95 thèses contre les indulgences ». Jean Calvin est aussi l'auteur d'un « traité des reliques » rédigé en 1543. Il souhaite voir abolir le culte des reliques, « cette superstition païenne de canoniser les reliques tant de Jésus-Christ que des saints pour en faire des idoles ».


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Malgré ces dérives, tous les conciles, de Trente en 1563 à Vatican II en 1965, ont approuvé la vénération des reliques des Saints.

Récemment, une dizaine de villes en France ont reçu des reliques de Jean-Paul II, (goutte de sang, vêtement porté), dont celle d’Echirolles en Isère (église Jean Bosco).


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Le culte des reliques, qu’il soit religieux ou non, a permis à l’homme de se concentrer sur l’objet vénéré et ainsi, « d’oublier » ses maux, qu’ils soient d’ordre psychique ou physique.

Au début de l’ère moderne, les hommes ont cru que seuls les progrès scientifiques de la médecine permettraient de soigner les maladies.

Actuellement, la médecine, moins teintée d’hubris, intègre une approche plurifactorielle de la maladie en insistant sur la préparation de l’état d’esprit du patient. Plusieurs hôpitaux universitaires proposent la « méditation de pleine conscience » à leurs patients. Cette pratique diminue le stress, l’anxiété ou les symptômes dépressifs liés à la pathologie.

N'était ce pas là l’objet du culte des reliques ?

Ce fut de fait, la pratique des Antonins: « recouvrer la santé par la paix de l’âme »

 

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Publié dans Histoire

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